Jules Cayrade (1840-1887) est un cousin de mon arrière grand-mère Marie Ange Salesses.
La famille Cayrade est de Livinhac-le-haut dans l’Aveyron, le grand père de Jules était médecin, son père pharmacien, lui même sera médecin. C’est une famille bourgeoise, il sera l’élève du père Lacordaire, disciple de Lamennais, catholique social, à l’école de Sorèze.
Il sera donc médecin à Decazeville, appelé le « médecin des pauvres » comme le rappelle Pierre Poujol dans son livre » Decazeville, une histoire d’hommes ».
Pour retracer le contexte de l’époque, les débuts de la toute jeune troisième République, je vous renvoie au livre de Pierre Poujol : Jules Cayrade La montée des idées républicaines et du syndicalisme à Decazeville à la fin du XIXème siècle*, qui me semble au plus près de la réalité de cette époque.
Jules Cayrade est élu Maire en 1878 contre le candidat de la Société des houillères. C’est la première fois que les ouvriers élisent un maire qui n’est pas le candidat du patronat.
A cette époque le sous directeur de la Compagnie s’appelle Jules Watrin, il est catholique et libéral. Il avait instauré un système d’économat pour les mineurs, une partie de leurs salaires leur était versée sous forme de bons d’achat. Avec ces bons ils se procuraient des vivres auprès de cette coopérative patronale. Ce système était fortement décrié par les commerçants de Decazeville y voyant une concurrence déloyale.
Cette période est marquée par une crise économique et un fort chômage. De nombreux aveyronnais vont émigrer dans l’Est de la France, à Paris ou aux Etats Unis.
Pour donner du travail à cette population Jules Cayrade va décider de faire construire une école, bien sûr laïque, ce qui va déplaire aux catholiques, et une Mairie.
Jules Cayrade et Alexandre Bos son premier adjoint et mon arrière grand-père, avaient une marge de manoeuvre assez étroite. Malgré leur volonté de faire évoluer les mentalités ils ont été les cibles des partis de droite et des catholiques.
La grève éclate en janvier 1886, on dit que l’ingénieur Jules Watrin serait payé sur les diminutions de salaires qu’il impose aux mineurs.
Le matin du 26 janvier 1886 les grévistes se rendent au bureau de Jules Watrin et lui intiment l’ordre de négocier une augmentation des salaires.
Il se rend donc à la Mairie où une réunion a lieu, mais aucun accord ne se dégage de la réunion. Dehors la foule se masse de plus en plus nombreuse et demande la démission de Jules Watrin. A ce moment Jules Watrin sort de la Mairie et la foule comprenant qu’il n’y a pas eu d’accord oblige Jules Watrin à se réfugier dans d’anciens bureaux de la Compagnie. Jules Cayrade et ses adjoints décident alors de ne pas faire appel aux forces de l’ordre car quelques années plus tôt la troupe avait tiré sur les grévistes à Aubin faisant 14 morts dont deux femmes et un enfant.
Malgré les exhortations de Jules Cayrade et du Conseil Municipal Jules Watrin ne veut toujours pas démissionner et quand enfin il se décide il est trop tard la foule a envahi la maison où s’est réfugié l’ingénieur, il est frappé, puis défenestré et piétiné par la foule. Il meurt de ses blessures. Ce sont les docteurs Adolphe Puéchagut et Marcellin Couly, tous deux parents de ma famille qui viendront constater le décès de Jules Watrin.
Photo archive familiale
Adolphe Puéchagut (1856-1924).
Docteur en médecine, conseiller municipal de Decazeville de 1886 à 1919, premier adjoint au Maire Louis Bos de 1906 à 1919, chevalier de la Légion d’Honneur.
Jules Cayrade a été élu député en 1881, il tente de négocier avec les décideurs notamment avec Léon Say, président des houillères et fonderies de l’Aveyron, afin de trouver une issue à cette grève qui épuise encore un peu plus les classes laborieuses. Monsieur Léon Say renvoie Jules Cayrade sans aucun espoir d’accord entre le syndicat des mineurs et la Compagnie.
La grève va durer plusieurs mois pendant lesquels Jules Cayrade se démène pour soutenir les grévistes et les decazevillois sans travail.
Des soutiens cependant se feront jour dont Louise Michel, les journalistes Duc Quercy et Roche ainsi que le conseil municipal de Paris qui alloue dix mille francs aux mineurs grévistes.
Pendant ces longs mois Jules Cayrade fait face aussi à tous ses détracteurs qui lui reprochent d’être responsables de la mort de Jules Watrin.
Un procès va s’ouvrir à Rodez en Juin contre les mineurs coupables du meurtre de l’ingénieur, Jules Cayrade et le Conseil municipal sont eux aussi accusés d’avoir renvoyé les forces de l’ordre le 26 janvier. Le procès durera plusieurs semaines et même si Jules Cayrade est blanchi c’est un homme épuisé qui, après avoir assisté au banquet de la chambre syndicale des mineurs du bassin houiller, subit une attaque d’apoplexie et s’éteint quelques heures plus tard sans avoir repris connaissance.
La cérémonie de ses funérailles dura plusieurs heures, quatre discours furent prononcés. Une statue à son effigie sera inaugurée le 26 avril 1908.
Il est inhumé dans le cimetière de Miremont à Decazeville le 22 juillet 1886, il avait 46 ans. Il repose à côté du caveau de la famille Bos.
*Vous trouverez le livre de Pierre Poujol à la Maison de la Presse de Decazeville au prix de 10 euros.
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