Il y a 80 ans exactement mes parents se mariaient à l’Eglise de Saint Victor (Coufouleux dans le Tarn).
Les premières photos sont prises aux Rious, maison familiale des Escribe.
Le mariage de mes parents s’est déroulé « dans l’intimité ». Le faire-part fût envoyé après la cérémonie : « La Bénédiction Nuptiale leur a été donnée dans l’intimité le… »
La famille de ma mère, surtout ma grand-mère Elise Escribe était contre ce mariage, ma mère étant majeure elle décida de se marier contre l’avis de sa famille et sa mère ne lui permit qu’un mariage intime.
Mon père étant athée, la cérémonie religieuse se limita à la bénédiction nuptiale, sans messe, avec le discours de l’Abbé Roch, ami de la famille Escribe, qui passa tout à fait sous silence la famille Bos pour faire le panégyrique d’Antonin Escribe, afin je pense de donner une petite leçon à la famille de mon père.
Voici ce texte tout à fait édifiant… et qui montre le rôle que jouait l’Eglise Catholique dans la vie de nos ascendants.
Monsieur, ma chère enfant,
Vous me donnez aujourd’hui la faveur d’une joie très douce et très profonde.
Me pardonnerez-vous si je parais un instant vous oublier vous-mêmes dans cette cérémonie qui pourtant est toute vôtre ?
Quand on est parvenu à un certain stade de la vie la satisfaction est faite moins d’activité réelle que de vie intérieure, moins de faits actuels que de souvenirs.
Les souvenirs à cette heure dans ce paysage des Rious que je viens de traverser dans cette église de Saint Victor où de nouveau j’entends l’écho de ma voix, remplissent mon âme.
Pourquoi m’en excuser puisque après tout les souvenirs qui se pressent en moi vous appartiennent ?
C’est grâce à votre famille, mon enfant, que cette campagne m’est si chère.
Lorsque j’y suis venu pour la première fois j’avais environ vingt ans, j’y rencontrai par l’entremise d’un ami commun un jeune homme de mon âge, à l’abord très courtois, qui me parut à la fois modeste et généreux, surtout confiant dans le bien qu’il voulait faire. Tout un avenir s’étendait devant lui comme un vaste champ évangélique et social où il aurait à répandre le bon grain. Il disait cela sans emphase, des retraites annuelles, ses méditations quotidiennes, l’avaient formé à l’humilité chrétienne. S’il y avait dans cette foi quelque prétention, outre qu’elle était du meilleur aloi, on sentait qu’il n’y serait pas inégal (?).
Il avait déjà le regard volontaire du chef, tempéré par la bonté qu’exprimait son sourire. Ce fut le commencement de mon amitié avec le jeune Antonin Escribe.
Or cela se passait en des temps très lointains. L’église de Saint Victor était une humble et pauvre demeure du Bon Dieu, plus délabrée qu’antique semblable à celle dont parle le poète : c’était une humble église au cintre surbaissé, l’église où nous entrâmes.
Une famille de ce pays ne l’avait pas encore doté de sa jeune et fine silhouette qui s’impose au regard du passant.
C’est dans la vieille église, mon enfant, que vos ancêtres et votre père lui-même avaient reçu le baptême. Le curé de cette lointaine époque était l’ami de la famille Escribe et le mien. Les visages ont changé, les sentiments se perpétuent, et le prédécesseur de Monsieur l’abbé Amalvy n’aurait pas pu trouver des mots plus agréables pour me donner une place de choix dans cet événement nuptial.
C’est longtemps après que je retrouvai mon ami des Rious et que je me liais avec lui d’une affection solide dont la première entrevue ne nous avait apporté que la promesse. Je venais prendre séjour au Petit Séminaire de Saint Sulpice. Lui, il était devenu père de famille, propriétaire important, président du syndicat agricole de la commune, enfin chef d’une grande industrie.
Vos yeux, mon enfant, s’ouvraient à peine à la lumière du jour.
Dans cette allocution de mariage où l’église m’engage à vous donner des conseils pour votre vie nouvelle, je suis bien sûr que j’aurai rempli ma tâche si j’avais le talent de tracer un portrait, le portrait de ce grand chrétien. Mon coeur me permettra peut-être d’en fixer quelques traits et d’en donner une esquisse.
Quand les grands génies d’autrefois voulaient exprimer en chef d’oeuvre le rêve qu’ils portaient dans leur âme, ils désiraient, ils composaient disaient-ils sous l’aspect de l’éternité. C’est bien sous l’aspect de l’éternité, mais de l’éternité chrétienne, telle que la révèle l’Eglise qu’Antonin Escribe conçut et réalisa le rêve de sa vie. On nous enseignait alors que le jeune homme, surtout s’il avait la bonne fortune d’être instruit et de se trouver en évidence par sa place dans la société devait être un homme d’oeuvres. Cela signifiait qu’il devait se faire l’éducateur de ses contemporains. Mais on ajoutait qu’une condition préalable était de développer une conscience professionnelle, de porter au plus haut degré ses qualités d’homme et autant que possible de réussir dans la vie. C’était l’époque où un grand américain disait : « je voudrais que les catholiques, les vrais catholiques aient toujours les moissons les plus abondantes, les plus beaux vignobles, les plus riches rendements industriels ».
C’est pourquoi les champs et les vignobles dont le propriétaire Antonin Escribe dirigea les travaux purent bientôt servir de modèle dans la région. En atteignant cet idéal, s’il servait son intérêt bien entendu, il avait d’abord conscience d’exercer un apostolat.
Il fut le premier industriel de sa famille. En le devenant son intention première et déterminante était de servir la cause sociale et chrétienne, d’assurer le mieux-être des ouvriers, de les élever à une pratique morale et religieuse. J’en ai pour garant les confidences qu’il m’en a faites et le labeur qu’il y a dépensé. Il était habile, il était clairvoyant, il était prudent et avisé, il était doué d’une activité rare. Dirai-je qu’il était optimiste ? Il était plutôt confiant en Dieu. Or Dieu voulut qu’il réussît et qu’il donnât à son entreprise selon le désir du grand américain une envergure qui dépassa de beaucoup son premier espoir. A ses ouvriers il imposa tout au moins la personnalité d’un grand patron catholique et il en obtint le témoignage qu’il était juste et bon. A mesure qu’il grandissait dans sa fonction sociale, il sentait le besoin de faire quelque chose de plus grand pour l’Eglise et pour Dieu. C’est alors que la Providence présenta à sa générosité la grande oeuvre qui couronna sa vie : le Petit Séminaire de Saint Sulpice. …. suprême autorité du diocèse lui en a plusieurs fois manifesté sa reconnaissance. Et moi qui en ai été le premier bénéficiaire je ne puis me rappeler sans en être remué dans mon âme que celui qui nous a fait ce don magnifique était mon ami de la première heure et que dans notre oeuvre commune notre affection se fit toujours plus intime, plus étroite, plus compréhensive, plus achevée.
Son souvenir contient encore un autre exemple, celui qui à cette heure s’offre plus directement à votre invitation. Il a voulu être un maitre d’oeuvre en toutes ses fonctions, comme agriculteur, comme industriel, comme instigateur d’une grande entreprise chrétienne, mais plus encore il eût à coeur de réaliser l’idéal de l’époux et du père.
Votre famille était l’une des plus honorables de la région, c’est lui qui en a soudainement rehaussé le prestige. La leçon qu’il vous donne vient surtout de son intention première. Car chez lui, en toute chose, l’intention a toujours précédé la réalisation et le succès. Cette intention conçue et exprimée tous les jours qui précédèrent son mariage fut que dans un foyer en accomplissant toujours tous les désirs et toutes les charges que la discipline parfois austère de l’Eglise impose aux époux chrétiens, il lui fallait pour cette noble réalisation trouver la compagne idéale qui comprendrait et partagerait ses desseins. Dieu la lui avait envoyée.
Lorsque, il y a à peine quelques jours, en termes très délicats, vous m’avez demandé, Madame, de présider cette cérémonie, vous avez fait appel à l’amitié qui me liait à celui dont vous n’avez pas cessé de porter malheureusement le deuil. Et voilà que je n’ai su parler que de lui. Je ne sais si j’ai répondu à votre désir. Mais ce que comprennent bien ces jeunes époux c’est que ce n’est pas lui seulement, mais que c’est vous et lui, c’est le père et la mère qui méritent ensemble de servir de modèle.
Mon cher Monsieur, vous ne pensez pas qu’en faisant cet éloge, que ma parole a été bien inhabile à présenter, mais que je portais depuis longtemps dans mon coeur, vous ne pensez pas que je vous ai un instant oublié. Je devine quels sentiments vous ont conduit à votre jeune et gracieuse fiancée. C’est sur des fleurs prématurément desséchées que s’épanouissent des fleurs nouvelles, et des souvenirs douloureux créent souvent des liens de tendresse. Nos morts nous assistent et nous obtiennent des joies qu’eux-mêmes auraient eu à peine le temps d’ébaucher.
Vos visites familiales vous ont permis de connaître une jeune fille douce, pieuse, intelligente, active aux bonnes oeuvres, très appréciée du pasteur de sa paroisse, inscrite aux associations sociales, cécilienne, noéliste. Et vous, homme cultivé portant comme elle un bel atavisme de pratique chrétiennne vous avez reconnu en cette jeune fille celle qui vous donnerait l’aide, la joie, le réconfort de votre vie.
Par surcroît l’un et l’autre vous aviez au coeur une flamme, une lumière aux reflets poétiques, je devrais dire une étoile, la santo Estelo. Elle devint pour vous l’étoile du berger. Peut-être à l’issue de quelque randonnée félibréenne, tout-à-coup séparés vous êtes vous sentis solitaires et l’une a répété les vers du poète provençal : qu’es triste de dina souleto, qu’un compagnoun douno apetit. Et l’autre prenant un coeur à deux mains prononça l’aveu : … Toun sourire espéliguet tout d’un temps, moun amour, nous sian ama, nous lou siam ausa dire, nous sian proumets de nous amat toujour.
Le félibrige se fait une loi du souvenir des ancêtres et de la fidélité aux traditions. L’idéal chrétien des Escribe et des Bos revivra dans votre union.
Il me paraît aussi que le Félibrige est source de joie et de confiance. C’est ce qu’en votre souvenir chante la coupo santo :
« Vuejo nous lis esperanza
Et la raive d’ou jouvent
D’un passat la remembranço
Et la fe dins l’an que vèn. »
L’an que vèn, c’est la vie qui pour vous commencera ce jour, la fé dins l’an que vèn c’est la foi en votre vie conjugale que vous allez sceller devant Dieu.
Ainsi soit-il.
Le repas de famille qui suivit eut lieu à Lavaur, à l’Hotel Larrieu mais il n’y eut pas de bal aux Rious comme il avait été d’usage pour les soeurs de ma mère.
Voici le menu et les signatures familiales.
Quarante ans plus tard je me mariais à Saint Victor, sur les traces des femmes de ma famille et c’était une autre histoire…
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